Par ZADAIN, son frère en humanité, théâtre, média, musique et de toujours.
Le 11 juin 1953, à minuit et une minute, quelque part à Kolwezi, alors que le silence de la nuit couvrait les toits de tôle de la cité minière, une lumière s’allumait dans l’ombre : un enfant venait de naître, dans une maternité modeste, mais remplie d’espérance.
Le destin avait choisi ce lieu, aux confins du Haut-Katanga, pour faire éclore une étoile que rien, ni le temps, ni l’injustice, ni la maladie, ne pourraient jamais éteindre.
Sixième d’une fratrie de treize enfants, Tharcisse TSHIBANDA Tondoy – que nous allions un jour appeler affectueusement TSHITOND – reçut à la naissance le souffle d’une force que seuls les bien-aimés de Dieu portent en eux. Une force discrète, silencieuse, qui puise dans la douleur son chant d’espérance.
Papa Polycarpe Kazadi annonça fièrement la nouvelle à ses collègues : « Un fils nous est né ! » Et maman Gertrude Muswamba MIANDABU, cœur battant d’une famille nombreuse, accueillit les premières visites avec la grâce des femmes de lumière. Ce jour-là, et les jours suivants, furent des jours de fête – car chaque enfant est un miracle, et celui-là allait devenir une légende.
Mais la vie, dès ses premières heures, voulut mettre son courage à l’épreuve. À trois ans, la maladie s’invite. La poliomyélite, cruelle et implacable, s’abat sur le petit corps de Tharcisse. Plus d’une année à l’hôpital, dans les bras d’une mère qui veilla jour et nuit, refusant de céder à la peur. La foi des parents ne vacilla pas. Comme le dit l’Écriture : « La foi est une ferme assurance des choses qu’on espère ». Et ils espéraient.
Transféré à Lubumbashi, l’enfant combat. Il perd la bataille contre la maladie, mais gagne la guerre de l’âme. Le verdict tombe : hémiplégique, colonne vertébrale atteinte. Il ne marchera plus. Mais déjà, dans ce jeune garçon cloué à son lit, battait un cœur de géant.Tandis que ses frères et sœurs remplissaient les salles de classe, lui, dans le silence d’une chambre, éduquait son esprit avec patience et soif. Loin des bancs d’école, il devint élève de la vie, lecteur du monde, guetteur d’âmes. À quinze ans, il reçoit sa première charrette, puis plus tard, son premier tricycle adapté. Ce fut comme une seconde naissance : pour la première fois, TSHITOND découvre les rues, le vent, les odeurs, la poussière chaude des avenues de Makomeno. Le monde s’ouvre.
Et dans ce monde, il se fait des amis – de ceux qui durent, de ceux qui vous voient pour ce que vous êtes. Parmi eux, un certain Alphonse Ntumba Luaba, futur professeur, futur ministre… mais avant tout, camarade de billes et de rêves, de musique.
Puis vient un soir de tempête. Une scène digne d’un roman. Lubumbashi s’assombrit, le vent hurle, la pluie menace. TSHITOND est dehors, seul. Le vent le repousse, la pente est trop rude. C’est alors qu’un inconnu surgit. Il court, il pousse la charrette. Il lui demande juste l’adresse. TSHITOND la lui indique. Il ne dit presque rien. Sur une distance de 4km,il pousse la charrette en courant jusqu’à destination. Il sauve. Ce jeune homme, c’était moi. ZADAIN. Et depuis ce jour, nous ne nous sommes plus quittés.
Cinquante ans d’amitié profonde, de fraternité sans conditions, d’art partagé. Car l’art, chez TSHITOND, coule comme une rivière vivante. Il est notre régisseur, notre mémoire, notre inspiration. Au théâtre, il règne en maître de l’ombre. En musique, il devient feu.
Ah, quand TSHITOND chante !Il porte en lui la voix rauque de Johnny Hallyday, la douceur triste de Salvatore Adamo, la romance de Frédéric François, la poésie de Moustaki.
Et surtout, il fait revivre Franco Luambo avec une fidélité d’âme rare. Il chante comme on respire, comme on prie, comme on se souvient.
Il a su traverser les frontières de la rumba et de la chanson française avec un naturel désarmant. Il n’imite pas les grands : il les incarne. Il ne chante pas la musique : il la devient.
Aujourd’hui, je rends hommage à cet homme qui, toute sa vie, a transformé le handicap en dignité, l’exclusion en création, la solitude en fraternité. TSHITOND est de ceux qui ne demandent rien mais donnent tout. Il a financé les études de ses nièces et neveux. Sur cette photo témoin,un neveu lui cède sa toge en signe de reconnaissance pour avoir payé ses études de la maternelle à l’université. Il est de ceux dont la vie devient enseignement.
Tu es un vivant poème, Tshitond. Un chant qui ne finit jamais.
Que cet éclat qui t’habite ne s’éteigne jamais,
Que les jeunes apprennent ton nom,
Que la mémoire te garde debout,
Et que ton chant résonne, même quand nos voix se tairont.
Ton frère pour toujours,
ZADAIN